Le statut de l’auto-entrepreneur : un statut favorisant l'expression des bricoleurs et des entrepreneurs modérés

Publié le par S. ANSART

L’économie du peu est un cadre dans lequel nous souhaitons pouvoir prendre en considération des pratiques jugées « anormales » du point de vue de la science économique à savoir :

-          des pratiques de bricolage où l’individu n’envisage pas forcément un processus de production parfait ni un produit/service parfait construit selon les règles de l’art (que l’on pourrait qualifier d’ « ingéniorisé ») ; cet individu bricoleur « fait avec ce qui est à portée de mains », «  ce qui lui est accessible », ce qu’il peut extraire de son stock (qui a donc déjà vécu, qui est déjà amorti) éventuellement en le décomposant et en le ré-agençant

-           des aspirations en termes de revenus où il s’agit de se fixer des objectifs de revenus en adéquation avec un projet de vie, et non un souhait constant de pouvoir générer toujours plus de revenus et poursuivre un enrichissement personnel toujours plus élevé.

 

De tels individus trouvent généralement dans les entreprises des espaces d’expression limités :

-          ils  sont contraints par des pratiques généralement ingéniorisées (s’opposant généralement à celles de bricolage) : opter pour des pratiques de bricolage dans les grandes entreprises ou les PME ne se fait pas, ne se dit pas !

-          parvenir à organiser son travail en fonction de son projet de vie lorsqu’on est intégré à une organisation reste exceptionnel. 

Etre entrepreneur semble élargir pour nos figures emblématiques de l’économie du peu des possibilités d’actions et de mises en œuvre de leur projet de vie en adéquation avec leurs aspirations. Néanmoins être entrepreneur, c’est aussi parler de business plan à son banquier pour obtenir des financements, parler de marché à capter, d’organisation et de plan de développement de l’entreprise…  L’entrepreneuriat qui ne se restreint pas à une structure réduite et des aspirations limitées semble aussi ne pas proposer un espace d’expression satisfaisant pour nos acteurs emblématiques  de l’économie du peu.

 

 

C’est ainsi plutôt le micro-entrepreneuriat qui résonne favorablement aux profils du  bricoleur et de l’entrepreneur modéré. L’auto-entrepreneur semble l’être encore plus par la réduction des démarches administratives et les limites de chiffre d’affaires annuels attachées à ce type de statut.

 

L’auto-entrepreneur construit souvent son activité autour de pratiques de bricolage. L’organisation de la production s’appuie sur une mise en œuvre de moyens limités qui s’explique à la fois par la taille de la structure, mais aussi et avant tout par un objectif de coût limité. Le siège social est souvent le domicile familial où quelques adaptations -mais généralement à la marge- sont réalisées pour pouvoir gérer son activité et entreposer le matériel nécessaire. Le moyen de transport reste souvent là encore le moyen traditionnellement utilisé ou il est fait l’option de changer le moyen de transport familial pour qu’il puisse convenir à un double usage (personnel et professionnel). En termes de matériels, Il s’agit souvent à côté de quelques achats incontournables dans la sphère marchande traditionnelle de puiser dans les greniers, garages de la famille ou des amis du matériel qui a déjà vécu, d’utiliser les différents canaux de vente ou de dons de matériels d’occasion. En termes de compétences, les pratiques sont aussi celles du moindre coût et celles du moindre recours aux canaux marchands habituels, les experts –lorsqu’ils sont jugés non nécessaires- sont évités. Le principe est de recourir et de faire fonctionner le réseau et d’user et de développer un mode d’échange basé sur le don et le contre-don. L’auto-entrepreneur est ainsi souvent un bricoleur, entendu comme celui qui fait avec ce qui est à porter de mains. L’auto-entrepreneur s’inscrit rarement dans un processus idéal et ingéniorisé de son activité professionnelle. Cela n’enlèvera rien a priori à la qualité des produits ou prestations fournis, mais supposera  que les préoccupations en termes de qualité ne relèvent pas d’une conformité à l’état des arts pour les diverses actions nécessaires au livrable comme pour le livrable lui-même.

 

Par ailleurs, faisant écho à notre entrepreneur modéré, l’auto-entrepreneur crée souvent une activité en laquelle il croît, une activité qu’il organise comme il le souhaite de telle manière à ce qu’elle lui permette de générer les revenus et selon des modes de production et d’organisation qu’il estime satisfaisants. Ces choix peuvent être d’autant plus satisfaisants qu’ils s’établissent non seulement de manière autonome du fait d’une structure unipersonnelle, mais aussi généralement en fonction de son propre projet de vie.  Ce dernier structure les choix de mise en œuvre. On peut ainsi évoquer :

·         des activités de traiteur limitées pour l’essentiel à une clientèle de proches et uniquement sur les week-ends et vacances pour s’accomplir dans une passion,

·         des activités dans les métiers du bâtiment ou de jardinier-paysagiste ou encore de traduction qui permettent d’aménager son temps et concilier sa vie familiale ou ses activités de loisirs voire de bénévolat,

·         des activités de formation ou de conseil permettant de sélectionner les projets jugés intéressants et stimulants et là aussi où les périodes d’intervention sont limitées et choisies

·         des activités où l’auto-entrepreneur peut respecter ses valeurs ou/et ses principes qui lui sont chères car il n’a pas de compte à rendre: proposer des interventions où seul ce qui est nécessaire est réalisé et vendu

·         etc…

 

 

Le tableau ainsi décrit peut s’avérer assez idyllique. Il s’explique par le parti pris de souligner à quel point le statut d’auto-entrepreneur peut favoriser l’expression du bricolage et de la modération.

Il reste que l’auto-entrepreneur en fonction de sa dépendance à cette activité pour générer ses revenus (et de cette même dépendance  à ces revenus pour vivre) peut avoir une latitude plus ou moins importante quant aux choix réalisés et à leur adéquation à son projet de vie.

L’engouement pour le statut d’auto-entrepreneur est certainement influencé par un contexte qui s’y prête voire qui le nécessite (la crise), mais semble aussi révéler la quête de sens qui semble irradier de plus en plus nos sociétés.

Publié dans Entrepreneur

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V
<br /> Encore une fois, se pose la question de la structrure, de la taille de cette structure et du bricolage. Apparemment, la structure interdit de fait des objectifs de vie individuels. Pourtant, ne<br /> peut-on pas imaginer des cas contraires?<br /> Par ailleurs, le choc vient nécessairement des objectifs d'optimisation des firmes qui sont incompatibles avec certaines aspirations. Mais, de même, ne peut-on pas trouver un entrepreneur avec des<br /> objectifs modérés qui soient incompatibles avec les propres objectifs de ses salariés?<br /> <br /> <br />
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