L’économie du peu, tout un programme… ?

Publié le par Sandrine Ansart

L'’économie du peu vise très clairement à construire un nouveau champ économique.

D’où vient cette nécessité ? D’une observation qui fait état de comportements répandus de modérations tant en termes de mode de production que d’aspirations en termes de revenus. Cette modération est en opposition avec les comportements optimisateurs traditionnellement à l’origine des modèles économiques traditionnels. Reconnaître l’existence de ces comportements modérés –et donc non en phase avec le modèle de comportement des acteurs des modèles économiques classiques soulignant leur caractère optimisateur- nous apparaît crucial. Nous soulignerons pour l’instant deux raisons essentielles fondant cette nécessité :

-          A un niveau macroéconomique, la reconnaissance de ce type de comportements modérés permet de relativiser la nécessité d’une croissance toujours plus forte (sans forcément prôner la décroissance), car cette modération comporte en soi des modes opératoires créatrices de valeurs non inventoriées dans les calculs du PIB (indicateur de calcul de la croissance).

-          A un niveau microéconomique, et en fait dans notre vie au quotidien, il apparaît fondamental que cet individu atypique puisse exister et être considéré comme « légitime » au regard des différents critères et notamment ratios qui rythment la vie économique et sociale d’un individu. Soyons un peu plus explicite : comment un entrepreneur qui ne propose pas un « business plan » qui optimise l’appareil de production par un éventail aussi large que possible des heures d’ouverture ou par une recherche permanente de nouveaux clients pourra obtenir un financement de son banquier? Comment sera apprécié par son banquier, ses confrères et même ses clients un restaurateur qui n’ouvre que 3 jours par semaine ?  Quelle sera l’étiquette accolée à un individu qui récupère, détourne, réassemble,… et donc « bricole » des objets voire des espaces que ce soit pour ses propres besoins ou pour certaines phases de son activité professionnelle ?

Cette modération qui n’a pas -ou que de manière marginale- sa place dans les théories économiques ou dans le quotidien de l’activité économique semble cependant être louable à plus d’un titre. Ces pratiques peuvent :

-          minorer les niveaux nécessaires de croissance économique,

-          favoriser un certain respect de l’environnement,

-          autoriser la quête de sens qui semble s’affirmer aujourd’hui au sein de la population,

-          alimenter l’intérêt de relations de coopération et moins de concurrence et de fait, limiter les exigences constantes de compétitivité –motivant notamment un progrès technique constant-,…

 

Cette construction de ce nouveau champ économique suppose de revenir sur un certain nombre de concepts économiques et non des moindres. En effet, les pratiques de modération (donc de « peu ») que ce soit pour le mode de production ou les aspirations des agents économique en termes de revenu déstabilisent :

-          le concept clef de la théorie économique néoclassique à savoir celui de son agent économique référent : l’homo-économicus tel que définit par ce courant économique devenu le courant « mainstream ». L’homo-économicus  est un individu désocialisé, omniscient et mû par la seule recherche d’un gain maximal. Notre « homo-bricolans » ne peut être défini par ce comportement : il ne recherche pas un gain maximal, il n’optimise pas son appareil productif de manière systématique (il pourra tout à la fois d’un côté sur-optimiser un facteur de production –ex : en réutilisant des vieilles bobines de tracteur qui n’avaient plus aucun usage- et d’un autre côté sous-optimiser son appareil de production car il ne l’utilisera que 3 jours/semaine, ces seuls 3 jours / semaine lui assurant le revenu qu’il estime satisfaisant). Peut-on qualifier pour autant cet agent d’irrationnel ? Ou doit-on envisager qu’il existe d’autre rationalité pour rendre compte du comportement de l’homo-bricolans ? Si oui, doit-on se rapprocher de la sociologie économique pour opérer déjà un ré-encastrement de l’agent économique dans son réseau social ? En effet, cette dimension sociale de l’individu semble indispensable pour saisir les choix de revenus modérés qu’il a tendance à réaliser.

-          Il s’en trouve également impacter les concepts de ressources (qu’est-ce que l’on peut estimer être des ressources), mais aussi de calcul de coûts, et au total qu’en est-il de la rareté ?

 

Le programme est ainsi vaste mais revêt pour le moins des enjeux de légitimité et de droits d’exister cruciaux pour les bricoleurs et les entrepreneurs modérés !

Publié dans généralités

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