"Tu ne vivras point trop"
Je n'ai presque pas connu mon grand-père maternel. Il était tailleur. Un jour, je trouve un manteau chez mes parents. Sombre, lourd, très lourd même. Quelques raccommodages à peine visible et, bien entendu la coupe, témoignent de son âge. Il a été réalisé par ce grand-père pour mon autre grand-père, le paternel. Ce manteau a 60 ans.
Il y a un mois, j'ai enterré mon mini-four, Celui que mes parents m'ont donné 10 ans auparavant, qu'ils ont eux-mêmes conservé 10 ans. Il m'a vaillamment lâché en pleine préparation d'apéritifs.
Jeudi soir, j'ai vu sur France 2 des individus différents de mon grand-père, différents de ceux qui ont conçu et produit mon mini-four. Ces individus programmaient le décès de leur propre production. On appelle ça en langage plus académique le "design for obsolescence". Je connaissais les deux aliénations marxiennes : celle qui fait perdre à l'ouvrier la vision globale de la production à laquelle il participe (à cause d'une trop grande décomposition des tâches) ; celle qui le rend incapable de comprendre et donc maîtriser les conséquences de ses gestes (quand la machine remplace l'outil prolongeant la main). Voici la troisième : celle où le géniteur a charge de programmer la mort de son enfant. "tu ne vivras point trop"